Histoire de ma maladie

Tout a commencé par un léger boitillement en septembre 95. Comme je n'avais pas mal et que j'avais beaucoup d'enseignement ce semestre là, je n'ai consulté qu'en décembre, profitant d'un arrêt des cours causé par la grève des transports qui allait durer tout le mois. Sur les conseils de mon frère, neuropédiatre, j'avais pris rendez-vous à la fois en rhumatologie et en neurologie. Par les hasards du calendrier, j'ai commencé par la neurologie et c'est là qu'une anomalie a été décelée, on m'a conseillé de me faire hospitaliser pour des examens plus approfondis.

J'ai donc été hospitalisée une semaine à l'Hôpital Saint-Antoine. La seule chose qui m'ait vraiment marquée et qui m'a plongée dans le drame, c'est une simple ponction lombaire. Marie, ma fille, avait pris la précaution de prévenir l'interne qu'elle aurait du mal car ma colonne vertébrale était déformée et rigidifiée par une arthrose importante ; elle m'a assurée que je n'avais rien à craindre, que ce serait elle en personne qui me la ferait. Quand elle est arrivée le lendemain, elle était accompagnée de son externe qui était de toute évidence préposé à me la faire ; j'ai protesté, mais on m'a répondu qu'il était très habitué et que je n'avais pas le choix. Résultat, il a essayé trois fois sans succès et finalement c'est l'interne qui y a été contrainte.

Après la ponction, j'ai pris soin de rester allongée le temps que m'a indiqué l'interne avant de rentrer chez moi. C'est alors que les choses se sont gâtées. Mon mari, pris par les embouteillages de ce vendredi de manifestation générale, n'est arrivé qu'en fin d'après-midi alors que j'avais déjà très mal aux reins. Le retour a été un enfer. Arrivée à la maison, seule la position repliée par terre, la tête dans les bras, pouvait me soulager. Je suis donc restée dans cette position toute la nuit. Quand le sommeil me faisait tomber sur le côté en position fœtale, la douleur avait vite fait de me réveiller. Je souffrais d'un épanchement du liquide rachidien consécutif à la ponction. Je suis retournée à l'hôpital le lendemain après midi où l'on m'a fait un "blood patch", c'est-à-dire qu'on vous prélève une bonne quantité de sang qu'on réintroduit dans le bas de la colonne, ce qui a pour effet de colmater l'épanchement. Ce "blood patch" m'a immédiatement soulagée.

J'ai appris par la suite, que ce problème n'arrivait jamais quand on pique avec une aiguille fine. J'ai aussi appris que dans une maladie comme la SLA, les thérapies brutales sont à proscrire ! bravo l'interne ! De toute façon, cette première série d'examens n'a donné aucun résultat.

Début janvier, mon frère est venu m'examiner un soir chez moi et a constaté des fasciculations, fasciculations qui n'avaient pas été décelées par le neurologue. Celui-ci s'apprêtait à me faire un examen douloureux, j'y ai échappé grâce à mon frère. C'est le 8 janvier (jour de la mort de Mitterrand) que j'ai su le nom de ma maladie. J'ai trouvé peu délicat que le Docteur A... vienne me l'annoncer accompagné de son interne et de son externe (ceux de la ponction lombaire) dans une chambre que je partageais avec une autre personne. J'aurais préféré qu'il me l'annonce seul dans son bureau. Il m'a présenté cette maladie comme une vieillesse accélérée. Le mot "sclérose" est difficile à avaler, mais celui de "vieillesse accélérée" est insupportable à entendre. On m'a promis un médicament miracle ; j'ai vite compris qu'on se moquait de moi.

Pour confirmation de diagnostic, j'ai été hospitalisée quelques jours à la Salpetrière dans le Service du Professeur Meininger. Là j'ai vite compris que mes jours étaient comptés car l'assistante sociale, à qui je demandais la procédure à suivre pour obtenir le macaron handicapé pour ma voiture, m'a regardée d'un air ahuri en me disant qu'il fallait plus de trois mois pour l'obtenir ; autrement dit que je serai morte avant. Pire encore, fût la psychologue qui me conseillait de faire la paix avec toutes les personnes avec qui je pouvais avoir un différend, car disait-elle, après ma mort, ce serait pour ces personnes là, très dur à supporter ! je crois que si on voulait me faire comprendre que la mort était proche, on ne pouvait pas mieux s'y prendre.
J'ai été intégrée à la fin du protocole rilutek, mais j'ai vite compris que cette pilule miracle ne servait à rien, au moins dans mon cas, sinon à me détraquer le foie. Je l'ai donc vite abandonnée.

On peut caractériser cette année 96 par le mot : fatigue. J'ai voulu terminer l'année scolaire. Heureusement Bernard, mon mari qui enseigne la même discipline que moi mais dans une autre université, était là pour me remplacer quand j'étais trop fatiguée.
À Pâques, nous sommes partis avec nos cinq enfants en Égypte, notre dernier voyage en famille. Je marchais très difficilement et nous avions apporté un fauteuil roulant qu'on nous avait prêté pour l'occasion. J'ai pu faire toutes les visites avec eux. Ce sont des souvenirs merveilleux.

En juin j'ai réalisé que je ne pourrai pas reprendre mon enseignement à la rentrée. Tout geste me fatiguait, mon écriture au tableau devenait illisible, je perdais l'équilibre et j'avais la hantise de tomber devant mes étudiants. Conduire la voiture devenait dangereux car je ne pouvais pas me tourner pour voir les véhicules qui m'arrivaient par la gauche. Pendant le dernier trimestre, Bernard m'emmenait et me remmenait de Jussieu chaque fois que c'était nécessaire.

Il se trouve que l'année précédente, j'avais proposé à Jacqueline, la responsable des enseignements de premier cycle de mon université, de l'aider dans l'établissement des emplois du temps du DEUG, travail pénible et compliqué qu'elle faisait seule depuis des années sans que personne ne veuille la remplacer. Ce n'est pas parce que je démarrais une SLA que j'allais me désister de ce travail qui pouvait se faire assise à côté d'un téléphone. Jacqueline m'a donc mise au courant de ce qu'il y avait à faire. Sans le savoir, elle m'a sauvé la vie. Le directeur de mon département, comprenant que je ne pourrai plus enseigner, a accepté de considérer que ce travail d'organisation pouvait remplacer en partie mes obligations de service et m'a prêté un vieil ordinateur et un modem qui me donnaient accès au courrier électronique depuis chez moi. Je lui en suis reconnaissante de tout cœur.

Pendant l'été 96, je marchais de plus en plus mal, et seulement avec des béquilles. Mon écriture devenait illisible. De toute façon, écrire et marcher me fatiguaient trop. Au mois d'octobre, j'en étais à souhaiter le moment où je ne marcherais plus, tellement la marche me devenait pénible ! Je n'ai pas eu beaucoup à attendre. En effet, ce même mois d'octobre, j'ai fait une très mauvaise chute dans l'appartement à la suite de laquelle j'ai régressé encore et, un mois plus tard, je ne marchais plus du tout. En même temps, mes mains sont devenues très faibles ; je ne pouvais plus tricoter, mais je pouvais encore tourner les pages d'un livre, pas pour bien longtemps !

Bernard m'avait acheté un téléphone ''mains libres'' car je ne pouvais plus amener l'écouteur à mon oreille. Cela m'a permis d'organiser le deuxième semestre des enseignements avec Bernard qui tapait pour moi les courriers électroniques sur l'ordinateur car je ne pouvais déjà plus taper. Les gens étaient étonnés au téléphone, j'avais une voix bizarre, nasillarde, mais encore très compréhensible ; certains me prenaient pour une débile mentale.

À partir de janvier 97, un an après la déclaration officielle de la maladie, je ne marchais plus du tout, je ne pouvais plus me tenir longtemps assise et je ne contrôlais plus mes mains. On me faisait manger. Bernard m'aidait pour m'habiller, pour la toilette, pour tout. Je ne pouvais même plus tourner les pages d'un livre. L'ARS (association de recherche de la sclérose latérale amyotrophique) a eu la gentillesse de me prêter un tourne-page électrique, mais je n'ai jamais pu le faire marcher, mes mains étaient déjà trop faibles ; il ne me restait, comme unique occupation, qu'écouter de la musique, couchée dans mon lit. Je suis donc restée au lit à écouter des disques pendant toute cette période de janvier à juin. En juin il s'est produit deux événements qui ont changé ma vie.

Le premier, est l'achat d'un fauteuil roulant de grand confort avec appui-tête et assise inclinable, qui m'a littéralement sortie du lit. Ce fauteuil, que j'avais vu une première fois au Salon des Handicapés, porte de Versailles, m'a été présenté à l'hôpital de Garches. Au fond de l'hôpital, se trouve une grande salle avec toutes les sortes de fauteuils en vente sur le marché. Nous avons pris rendez-vous avec le kinésithérapeute responsable de ce local qui a consacré deux heures de son temps à nous conseiller. Nous savions ainsi ne pas faire d'erreur en l'achetant car son prix était quatre fois plus élevé que le forfait Sécurité Sociale. Pour son financement, j'ai eu la chance qu'au même moment une collecte ait été organisée en ma faveur parmi mes collègues, dont le montant correspondait exactement au prix du fauteuil. Grâce à eux, j'ai pu de nouveau rester assise en dehors de mon lit pendant la journée.

Le deuxième événement est la visite que nous avons faite à l'un des départements de l'AFM d'Évry, le DRAC. Au mois de juin Bernard a eu un peu plus de temps libre, il s'est renseigné sur les moyens d'accès à l'ordinateur des handicapés tétraplégiques. Je n'y croyais absolument pas et trouvais l'idée saugrenue. Je ne sais pas par quel moyen il a obtenu de l'AFM la possibilité de visiter leur salle informatique. Là, nous avons été très bien reçus. C'est une jeune fille myopathe, Christine, qui m'a expliqué le fonctionnement du logiciel d'accès à l'ordinateur utilisé par le DRAC : Discover, un logiciel de défilement qui se place en amont de tous les autres logiciels. Il est complètement ouvert, c'est-à-dire qu'on fabrique soi-même les tableaux de défilement en fonction de ses besoins propres. Le DRAC nous a prêté le logiciel et un contacteur au souffle utilisé par Christine, pour que je l'essaye à la maison. Notre ordinateur était malheureusement trop peu puissant ; et l'après-midi quand les responsables de la salle ont vu sur quel ordinateur je prétendais installer Discover, ils m'ont proposé de m'en prêter un pour que je puisse m'entraîner pendant la période des vacances. Eux aussi m'ont sauvé la vie. Nous avons emmené l'ordinateur en vacances et j'ai eu deux mois pour m'initier à Discover et me rendre compte que je pouvais effectivement tout faire et tout particulièrement mes emplois du temps que j'étais sur le point d'abandonner car j'avais besoin de quelqu'un qui écrive sous ma dictée, et ma parole devenait incompréhensible. Il a fallu changer de contacteur, je salivais déjà trop pour pouvoir utiliser le contacteur au souffle de Christine, mais nous étions près de Lyon et nous avons pu aller essayer des contacteurs de toutes sortes dans une maison spécialisée. Nous avons adopté un contacteur à la joue que j'ai gardé jusqu'en septembre 2001. Inutile de dire que j'ai passé toutes mes journées de cet été là devant ce fabuleux joujou.

À la rentrée de septembre, Bernard m'a acheté un ordinateur assez puissant, le logiciel et tout ce qu'il fallait pour que je continue à travailler. Le dossier de financement de ce projet a été mis au point avec l'aide d'une assistante sociale de la section de Paris de l'APF qui a été d'un grand secours. Le financement réunissait des aides de la Sécurité Sociale, de la MGEN et de l'APF pour un montant de 40.000 francs environ. Ma vie prenait une autre tournure : j'étais un poids mort, une charge permanente sans rien pouvoir donner en échange et voilà que je redevenais une mère de famille active, j'écrivais aux enfants, je gérais les comptes en banque, je faisais des commandes par correspondance, des recherches sur Internet, etc. J'avais même une véritable activité professionnelle.

Si moralement j'allais bien mieux, il n'en était pas de même du côté de l'évolution de la maladie. Je faisais de plus en plus de fausses routes en mangeant ; mes repas duraient parfois deux heures, ce qui n'était pas supportable pour la personne qui me faisait manger. En janvier 98, on m'a fait une gastrostomie et depuis ce moment là je suis sous alimentation entérale et je n'ai plus rien mangé normalement, ce qui s'est révélé une grave erreur ; en effet, à partir de l'été (98) je me suis mise à avoir un mauvais goût dans la bouche qui n'a fait qu'augmenter depuis, à la fois en fréquence et en intensité. Ce mauvais goût me poursuit encore aujourd'hui. Quelques mois après l'apparition de ce mauvais goût, ma mâchoire s'est bloquée en position fermée ne me laissant plus aucun espoir de manger un jour. J’ai appris plus tard, que c’est le cerveau qui envoie a la mâchoire l’ordre de rester en position fermée, comme si de peur que j’introduise un aliment avec un aussi mauvais goût, le cerveau disait «stop». Or il est clair au contraire que ce mauvais goût vient de l’intérieur, d’un fort reflux de l’estomac, c’est tout le suc gastrique qui me remonte à la bouche. On a tout essayé, tous les anti-reflux, des neuroleptiques dans l’hypothèse où ce mauvais goût proviendrait de la maladie elle-même, des goûts très forts qu’on mettait dans la poche de l’alimentation, on a même changé trois fois de produit d’alimentation. Pour vous donner une idée de la force du goût, si vous mangiez quelque chose d'aussi mauvais, vous le recracheriez aussitôt tellement le goût est aigre et acide. Sans ces problèmes de bouche, ma vie serait difficile mais supportable.

Pendant tout le premier trimestre de cette année 98, j'étais bien sûr toute la journée devant mon ordinateur, occupée à arranger mes tableaux de Discover, avec comme idée principale l'accélération de l'écriture. Pour cela j'ai été bien aidée par une personne de l'APF, Xavier Destoop, que je ne connais que par courrier électronique et qui m'a donné un logiciel de contraction de mots que j'ai exploité à fond puisqu'à ce jour j'y ai entré plus de 2700 abréviations incluant les principaux verbes conjugués aux principaux temps en ajoutant les formes négatives et interrogatives. M. Destoop m'a également indiqué un logiciel qui enregistre les mots au fur et à mesure qu'ils sont tapés et les restitue dès que l'on en tape les trois premières lettres. Cela remplace les dictionnaires enregistrés qui font cruellement défaut dans le système Discover. Sur ses conseils, j'ai également acheté une synthèse vocale car ma parole était devenue totalement incompréhensible. Cette synthèse vocale est très bonne en anglais mais en français ce n'est vraiment pas au point. Je ne l'utilise plus car il faut tout écrire, ce qui est très long. Je préfère que les personnes viennent lire ce que j'écris sur l'ordinateur.

Pour palier au fait que ma parole devenait incompréhensible, j'ai mis au point, avec l'aide de l'orthophoniste qui venait trois fois par semaine me faire travailler, un langage où chaque phonème correspond à un signe basé sur les mouvements des yeux et des paupières. Ce langage s'est avéré la meilleure façon de communiquer avec qui veut bien l'apprendre, lorsque je ne suis pas devant l'ordinateur. Pour les communications simples, j'emploie aussi des tableaux de phonèmes. C'est ce que j'utilise le plus souvent la nuit pour expliquer à Bernard ce dont j'ai besoin car alors il m'est impossible d'ouvrir assez les yeux pour utiliser mon langage.

En juillet 98, j'ai fait une grosse phlébite et comme je l'ai déjà dit, l'alimentation refluait dans ma bouche. Nous étions en vacances. Le médecin des Urgences de l'hôpital le plus proche, nous a dit que si je venais consulter, la première chose qu'il ferait serait un examen des gaz du sang, et que, si cela se révélait nécessaire, il ne me laisserait pas repartir sans m'avoir fait une trachéotomie. J'ai pris peur et je ne suis jamais allée consulter. C'était un tort car la trachéotomie, je l'ai eue fin janvier 99 après beaucoup de souffrances qui auraient été évitées si je l'avais acceptée plus tôt. Mais personne ne m'avait dit que le reflux était un signe d'insuffisance respiratoire, sauf ce médecin des Urgences, que je ne voulais pas croire.

A mon retour de vacances, on a traité le reflux et surtout la phlébite. Pour le reflux, on m'a installé une pompe qui réduit le débit d'alimentation entérale. Cela a effectivement beaucoup diminué le reflux, mais le mauvais goût dans la bouche persistait et prouvait que c'était insuffisant.

Peu à peu, pendant ce dernier trimestre de l'année 98, ma capacité au travail diminuait. En décembre, je ne pouvais pas travailler plus de 10 minutes par jour, juste le temps d'écrire quelques lignes à Bernard. Je ne savais pas ce qui m'arrivait et comme au même moment mon cou ne soutenait plus ma tête, je pensais que celui-ci était responsable de mon incapacité à actionner le contacteur. Fin décembre, j'avais sans arrêt trop chaud, besoin d'avoir la fenêtre ouverte même s'il gelait dehors. Je dormais très mal. Ce n'est qu'en janvier que j'ai compris que je manquais d'air. Au service de pneumologie de la Pitié où j'ai été hospitalisée une première fois mi-janvier, on m'a essayé un masque avec l'idée que je le mettrai la nuit pour dormir. Sachant que, si cet essai échouait, j'aurais le choix entre la trachéotomie que je redoutais et le cimetière, j'ai mis toute mon énergie à faire en sorte que l'essai marche. Mais comment peut-on imaginer adapter un masque à quelqu'un qui n'a pas l'usage de ses mains pour enlever ce masque quand il étouffe et qui n'a pas la parole pour appeler au secours ?

L'essai du masque ayant échoué, il fallait donc que je choisisse entre la trachéotomie et le cimetière. Je ne supportais pas l'idée d'être un poids encore plus lourd pour mon entourage et de vivre entièrement paralysée comme je l'étais sans espoir d'amélioration. Le médecin qui s'occupait de moi m'a bien expliqué que la trachéotomie me redonnerait ma capacité de travail et une vie supportable sans autres inconvénients que d'être branchée en permanence à une machine mais que, si j'optais pour la trachéotomie, personne n'accepterait par la suite de me débrancher, même si la vie devenait insupportable. La décision de trachéotomie était pour moi impossible à prendre. En fait, ça ne servait à rien de me poser tant de questions. Bernard avait décidé pour moi. Il s'est toujours acharné à me faire vivre, et moi, est-ce l'instinct de survie ?, je me suis laissée faire. L'opération s'est faite sous anesthésie locale fin janvier 99. Je suis restée hospitalisée une quinzaine de jours, le temps de m'accoutumer au respirateur. Bernard a pu rester près de moi, nuit et jour, sauf au moment de ses cours. Le personnel du service de pneumologie nous a adoptés et tout s'est bien passé.

Cette trachéotomie, dont j'avais si peur, a été pour moi un vrai soulagement. Les fausses-routes que je faisais continuellement avec ma salive n'étaient plus qu'un vieux souvenir ; et surtout je pouvais me remettre à travailler. A part le problème de ma tête qui était de plus en plus lourde pour mon cou, la maladie n'a plus évolué ; comme si la trachéotomie stoppait son évolution. Dommage qu'on ne me l'ait pas faite plus tôt ! Mais après tout je n'en sais rien et c'est ainsi. Un seul point noir, à l'ordinateur, je me fatigue plus qu'avant, c'est-à-dire que je m'étouffe parfois et je suis obligée d'arrêter. Et puis il y a les nuits toujours difficiles, pas du tout à cause du respirateur que je supporte bien, mais pour tout le reste, les ankyloses, les aspirations...

Au début, j'avais l'angoisse de ne pas pouvoir me faire entendre lorsque j'avais besoin de quelque chose. La trachéotomie m'avait privée même de ce grognement qui auparavant me permettait d'appeler. Mais très vite, avec l'aide d'un de mes frères, nous avons adapté une sonnette à mon fauteuil que j'actionne par un petit mouvement de pied que je contrôle encore en partie.

En janvier 2001, j'ai subi une petite intervention. Il s'agissait d'élargir l'orifice de la trachéotomie car les changements de canule étaient très douloureux. C'est en ORL, à l'hôpital de la Pitié que l'intervention a eu lieu. Contrairement à l'opération de trachéotomie, j'ai été totalement anesthésiée ; qui dit anesthésie, dit salle de réveil. Les deux heures passées en ladite salle ont été un enfer. Bernard avait demandé à être avec moi dès que je me réveillerai. Devant le refus, il avait pris bien soin de les prévenir que je ne parlais pas et que je devais toujours avoir la tête soutenue, leur réponse était leur éternelle "nous avons l'habitude" ; résultat ils m'ont laissée la tête en arrière et sous prétexte de me réchauffer ils m'ont mis une couverture chauffante atrocement lourde qui m'écrasait les pieds, or ceux-ci sont très douloureux. Le supplice a duré deux heures. Bernard, à l'extérieur, trouvant le temps long, a pris de mes nouvelles auprès d'une personne qui sortait de la salle de réveil ; celle-ci lui a répondu que j'étais très calme ! si vous aviez tellement l'habitude, vous sauriez, chère Madame, qu'une personne complètement paralysée et qui ne peut même pas émettre ne serait-ce que des grognements, paraît forcément calme. De toute façon cette intervention n'a servi à rien, les changements de canule sont toujours aussi douloureux. Le même problème m'était arrivé en salle de réveil lors de mon opération de gastrostomie. Ils m'avaient coincé le bras avec le bord du lit. A l'époque, ma parole était incompréhensible et pour toute personne non habituée, ressemblait plus à des grognements qu'autre chose. Bernard qui n'était pas loin, m'entendait grogner et ne pouvait rien faire car l'infirmière responsable de la salle lui interdisait d'entrer. Je suis donc restée avec le bras coincé pendant deux heures. Nous sommes bien loin de l'hôpital Jean Rostand d'Ivry où comprenant qu'un malade ne pouvant pas parler a besoin de quelqu'un qui le comprenne, laissent Bernard auprès de moi en salle de réveil. C'est à Ivry que l'on me change la sonde de gastrostomie tous les 6 mois et que je consulte en rééducation fonctionnelle. Mon médecin et l'ergothérapeute m'ont toujours très bien conseillée et sont d'une grande gentillesse.

Contrairement à ce que je craignais, la trachéotomie ne m'empêche pas de sortir ni de voyager. Je suis allée trois fois à l'opéra et nous sommes partis en vacances normalement. Au début c'etait à chaque fois un vrai déménagement, deux respirateurs, deux aspirateurs, toute l'alimentation pour deux mois, le matelas anti-escarres, l'ordinateur, mon fauteuil, une chaise garde-robe etc. Il fallait plusieurs coffres de voiture, on se faisait aider de la famille. En juin 2000, voyant qu'à l'encontre de toutes prévisions statistiques, je résistais, nous avons acheté un monospace, Citroën Jumpy que nous avons fait aménager pour monter le fauteuil dedans à l’aide de deux rails formant un plan incliné et pour attacher celui-ci, ce qui fait que je voyage dans mon fauteuil. Il occupe trois places, celle de devant et deux places sur la première rangée de l’arrière, ce qui fait qu’il reste la place du chauffeur et une place à la gauche de mon fauteuil et éventuellement la banquette arrière pour deux ou trois personnes si on n’a pas besoin de coffre. Cette voiture nous permet de voyager en tout confort au moins pour moi car je suis branchée à mon respirateur et que pour m’aspirer nous avons un aspirateur sur batterie ; le seul problème est ma tête qui bringuebale dans tous les sens car mon cou est trop faible pour maintenir ma tête. Pour parer à ce problème, ma mère m'a confectionné un coussin en forme de demie-lune qu'on m'accroche autour du cou et qu'on ficelle à l'aide deux rubans. Cette solution n'est pas idéale car je ne le supporte que quelques heures. Par ailleurs nous avons progressivement acheté tout en double pour ne trimbaler que le matériel de respiration.

Cette organisation nous a déjà permis d’aller deux fois voir mon frère aîné en Bretagne, d’aller voir un autre frère près de Langres et un troisième dans les Pyrénées. Nous allons à tous les mariages de famille et surtout nous allons dans notre maison du Jura à Noël, à Pâques et deux mois en été. Maintenant que Bernard est à la retraite, nous restons une bonne partie de l'année dans cette maison du Jura, où nous avons fait aménager une chambre au rez-de-chaussée de plein-pied avec l’extérieur et une salle de bain attenant à la chambre avec une douche sans bac à douche, c’est le carrelage qui descend légèrement vers un siphon permettant ainsi à l’eau de s’évacuer. Bernard me place sur une chaise garde-robe avec la tête attachée, au-dessus du siphon et me donne une vraie douche. A ce point de vue nous sommes bien mieux installés qu’à Paris

Pour les soins de trachéotomie, nous avions pris une infirmière à notre sortie de l'hôpital. C'est un travail qui demande beaucoup de rigueur, de propreté. À la rentrée de septembre, l'infirmière n'a plus eu assez de temps à nous consacrer et a préféré renoncer. Nous avons essayé d'en trouver une autre, sans succès. Les soins dont il s'agit exigent du temps et les tarifs de remboursement en vigueur n'en tiennent pas assez compte. Finalement, c'est Bernard qui assure la totalité des soins en plus de ma toilette complète et de tous les transferts que cela nécessite. Il dit que c'est négligeable par rapport au reste, la fatigue des nuits et les contraintes d'horaire qu'il n'arrive pas à tenir.

Depuis mars 2000, mon cou n’a cessé de se dégrader, à un tel point que ma capacité à manier le contacteur faiblissait de jour en jour. Je compensais la faiblesse du cou par un mouvement de tout le corps, possible grâce aux muscles des cuisses que je maîtrise encore un peu. Ce sont ces mêmes muscles qui me permettent de soulever un peu les pieds et d’actionner la sonnette qu’on m'accroche au fauteuil ; ces mêmes muscles me permettent aussi de me raidir quand Bernard me met debout lors des transferts, si je n’avais pas cela la vie serait beaucoup plus compliquée.

Devant mes difficultés à manier le contacteur, Bernard s’est mis, en septembre 2000, en relation avec une équipe de Marseille qui préconise un contacteur aux mouvements des paupières, c’est-à-dire que, sur une paire de lunettes on fixe une fibre optique sensible à tous les mouvements des paupières. Malheureusement je ne contrôle absolument pas mes mouvements de paupières, quelquefois je n’arrive pas à ouvrir les yeux, d’autres fois il m’est impossible de les fermer. L’essai a donc été un fiasco complet et j’ai repris mon contacteur à la joue.

Le maniement de celui-ci devenait si compliqué que je me fatiguais de plus en plus ; j’ai fait les emplois du temps encore cette année-là très difficilement, mais l’été 2001 j’ai été contrainte de les abandonner, je ne pouvais plus du tout écrire. Je passais mes journées sur Internet car au mois de mai, nous avons eu l’ADSL, c’est-à-dire que je reste branchée aussi longtemps que je veux ce qui est un très grand confort surtout pour moi qui à l’époque prenait tellement de temps pour cliquer sur un endroit précis. Mais ma principale occupation était la lecture. Je téléchargeais des livres via Internet que je lisais sur mon ordinateur ; le gros avantage est que je n’avais besoin de personne pour me tourner les pages ; mais à côté de cela j’étais soumise à un choix très restreint de livres, je m’en contentais.

Un jour Bernard m’a montré la photo d’un Monsieur qui avait un contacteur au sourcil. Nous nous le sommes procuré, mais les premiers essais ont été catastrophiques, aux mouvements des sourcils s’ajoutaient des mouvements incontrôlés ; le résultat était lamentable et j’ai repris mon vieux contacteur qui, s’il était difficile à manier, ne me faisait pas faire autant de bavures.

Un jour de septembre 2001, la languette du contacteur était mise à un endroit tel de la joue que sans balancer tout mon corps je pouvais presque l'actionner par un simple mouvement de mâchoire. Je me suis empressée de demander à Bernard de marquer avec un feutre l’endroit du point de contact de la languette avec la joue, il a ensuite collé le contacteur « au sourcil » à cet emplacement et là ça a été la révélation ; je pouvais à nouveau tout faire et surtout écrire ; je retrouvais mon allure de croisière, j’étais ravie. Je n’ai plus jamais repris mon contacteur à la joue. J’ai même proposé de reprendre les emplois du temps mais sous certaines conditions seulement, ces conditions n’ont pas été acceptées alors je crois que je ne les ferai plus. De toute façon, maintenant je suis à la retraite, il faut bien arrêter un jour ! 

Depuis quelques années déjà Apple a changé son système d'exploitation. Le nouveau système s'appelle Mac OS X et est basé sur le système UNIX. Peu à peu tous les logiciels n'offraient plus que les versions pour OS X et il devenait impossible de trouver des logiciels qui marchaient sur le système classique Mac OS 9. J'ai plusieurs fois écrit à Discover pour savoir quand ils sortiraient une version pour OS X ; au début ils m'ont répondu que c'était une question de mois et, à la fin ils ne me répondaient plus. Je me suis donc renseignée auprès de l'AFM (ceux qui m'avaient fait connaître Discover), et ils m'ont dit que Discover tardait à sortir leur version pour OS X, mais qu'il y avait un tout nouveau logiciel qui venait de sortir et qui s'appelle SwitchXS. J'ai donc acheté SwitchXS en juillet 2003, et je me suis même proposée comme béta-testeuse ce qui s'est révélé très intéressant car David Niemeijer, son auteur, est très ouvert et saisit chaque idée qu'on lui donne. SwitchXS s'est révélé infiniment mieux que Discover, et en plus je suis maintenant en système OS X depuis deux ans, ce qui me simplifie énormément la vie. Je continue aujourd'hui mon travail de béta-testeuse, et c'est même ma principale activité. Cela se fait par "chat", c'est-à-dire par messages instantanés lorsque les deux personnes sont en ligne.

En avril 2005, je me suis mise à me sentir mal l'après-midi, un peu comme en janvier 99, mais en moins fort. Cela allait mieux quand on ouvrait la fenêtre, or dehors il faisait un froid de canard, et je ne pouvais pas supporter que la fenêtre soit fermée. D'après les gaz du sang, je ne manquais pas d'oxygène. La pneumologue qui connaît bien les SLA, m'en a quand même donné, et ça s'est révélé très efficace. J'en demande quand j'en ai besoin, en général en fin d'après-midi quand je ne peux pas ouvrir la fenêtre. Cet appareil extrait l'oxygène de l'air, on n'a donc pas besoin de renouveler des bouteilles, ce qui est bien pratique. Le seul problème est qu'il ne fonctionne que sur le 220. Lors d'un retour de Nantes, je respirais tellement mal qu'on a dû s'arrêter un grand nombre de fois dans des aires de repos pour me brancher l'oxygène. Dès qu'on repartait, je recommençais à étouffer. Je garde un très mauvais souvenir de ce retour sur Paris un dimanche soir de printemps. Maintenant nous avons des bouteilles pour les voyages. Maintenant, en 2006, j'ai besoin d'oxygène presque tous les après-midis, mais ce n'est pas bien gênant. 

En France, on est très bien pris en charge sur le plan strictement médical. La ventilation artificielle est autorisée à domicile et les appareils de respiration, d'aspiration, d'alimentation sont entièrement gratuits. C'est un avantage considérable auquel je dois de vivre encore. Les personnels du CARDIF responsables des respirateurs, dans la région parisienne, sont serviables et efficaces, nous n'avons jamais eu avec eux la moindre difficulté.

Cependant il reste un problème crucial qui ne paraît pas avoir été suffisamment pris en considération. C'est celui des gardes à domicile des personnes gravement handicapées et complètement dépendantes comme je le suis. Les frais infirmiers, de kinésithérapie, d'orthophonistes, sont remboursés à cent pour cent par la Sécurité Sociale, mais les gardes proprement dites sont laissées à la charge des familles, ce qui veut dire, dans mon cas, à la charge de mon mari et de mes enfants. Comme les enfants sont très peu disponibles, c'est Bernard qui assure toutes les nuits et toutes les journées. Il se faisait remplacer par un enfant quand il avait ses cours. Résultat : il était tellement fatigué qu'on aurait dit un cadavre ambulant. Maintenant qu'il est à la retraite, ça va un peu mieux, mais c'est toujours très lourd de ne jamais pouvoir sortir. Je lui ai proposé mille fois de me mettre dans une maison, il ne veut pas en entendre parler. Pour moi, c'est un vrai calvaire de devoir dépendre des miens de la sorte. Je ne peux pas rester seule plus d'une demi-heure car j'ai sans arrêt besoin d'être aspirée ou bien qu'on modifie un réglage. Les gardes habilitées jour et nuit nous coûteraient plus que nous ne gagnons. Nous avons fait plusieurs essais de gardes à nos frais, tous ont échoué principalement à cause de la difficulté à communiquer. Nous ne savons que faire. Nous nous sommes battus comme des fous contre cette maladie effroyable, et nous avons réussi en partie, mais c'est notre réussite qui nous condamne à terme. Bernard a coupé court à toutes ses activités pour pouvoir me garder. Les enfants qui nous aident ont fait, eux aussi, de gros sacrifices. Ils en ont assez et cela se comprend. La vie que nous avions pu restaurer devient chaque jour plus difficile. Chaque jour est un combat. Pour le moment nous résistons. Le 11 mars 2005, il est sorti une circulaire du nom de DGAS/PHAN/3A, pour garder les personnes lourdement handicapées, peut-être y aurons-nous droit, mais trouverons-nous la perle rare !